Le marché du bio a explosé, et ne cesse de progresser. Les géants de la grande distribution s’en sont désormais bel et bien emparé. Beaucoup de documentaires expliquant “La face cachée du bio low-cost” ont déjà dénoncé les dessous de l’industrie du bio. Malgré des normes à géométrie variable plus ou moins respectées, la production biologique intensive ne répond pas à la véritable philosophie d’une agriculture saine, écologique, et sociale. Autonomie Jardin dresse un bilan des conséquences environnementales dans l’un des principaux pays producteur européen, l’Espagne.

Photo : Revue-ballast.fr
1 – Le contexte
L’Espagne, pays ensoleillé au climat doux est relativement favorable aux cultures maraîchères. Contrée jadis fertile, les terres sont aujourd’hui épuisées par plusieurs décennies de cultures intensives, qui se sont développées depuis les années 80. Deuxième pays européen par sa surface agricole utile, l’Espagne se situe parmi les premiers par la diversité et le volume de ses productions, notamment végétales (fruits et légumes, huile d’olive, vin). Réalisant plus de 12 Milliard€ d’excédent commercial en 2017, le secteur agricole et agroalimentaire espagnol est devenu l’une des principales forces du commerce extérieur du pays. La France est le 1er client de l’Espagne et l’Espagne notre 1er fournisseur, notamment pour beaucoup de fruits et légumes « bio »(Agrumes, tomates, melons, pastèques, fraises…). Nous sommes à ce titre les principaux commanditaires du carnage écologique espagnol.
L’Andalousie, région chaude et sèche du sud du pays, paie un lourd tribut aux pratiques agricoles intensives. Devenu véritable « Potager de l’Europe », le sud de l’Espagne est aujourd’hui couvert par des milliers d’hectares de serres. À proximité de la ville d’Almeria, l’étendue des serres est telle que les habitants surnomment la zone « la mer de plastique ». C’est la plus vaste concentration de cultures sous serres au monde, sur plus de 45000 hectares, couverts de plastic, que l’on distingue même depuis l’espace. Depuis le nouveau millénaire, la surface des serres de la région d’Almeria est passée de quelque 30’000 à environ 45’000 ha, grignotant à coups de bulldozer les collines et montagnes avoisinantes et empiétant, en toute illégalité, sur le territoire du Parc naturel, d’importance européenne, du Cabo de Gata(environ 10’000 hectares de serres illégales en 2018).

Photo : Mapage.noos.fr
Si les surfaces cultivées du pays ne sont pas les plus importantes d’Europe, les grosses exploitations agricoles espagnoles, sont concentrées dans les régions du sud du pays, les terres arables y sont donc localement surexploitées, ce qui entraîne de gros dégâts écologiques. Au-delà de l’aspect social, cher à la philosophie bio, et qui est négligé tant par l’UE, que par les autorités espagnoles, l’impact environnemental de ces exploitations agricoles intensives est un désastre écologique majeur pour les sols, la biodiversité, les cours d’eau, et les nappes phréatiques.
Photo : (gauche) Centpourcentnaturel.fr – (droite) Allinfos.space
2 – Destruction des sols
Les agriculteurs Espagnols ne sont pas spécialement les champions européens de la pollution des sols, nous autres Français nous débrouillons pas mal non plus. Et que dire de nos voisins Italiens qui ont la main plutôt lourde avec les produits phytosanitaires, dont certains sont proscrits chez nous depuis plusieurs années à cause de leur dangerosité avérée. Bref, les mauvais élèves sont nombreux en Europe, je ne veux donc pas spécifiquement jeter l’opprobre sur nos amis Espagnols.
Je disserte sur le cas de ce pays car les dégâts y sont édifiants, et ont été causés en relativement peu de temps (une quarantaine d’année). En cause, une mauvaise politique agricole en matière de répartition des terres cultivées, et d’irrigation. Pour faire simple, l’Espagne a concentré toutes ses grandes exploitations maraîchères dans le sud du pays, et celles-ci doivent produire en quantité très importantes pour pouvoir répondre à la demande toujours croissante des consommateurs Européens. Ceci implique ;
– la monoculture(pour gagner du temps),
-souvent en hors-sol(pour gagner de la place),
-et à grand renfort d’engrais minéraux, ou organiques, très solubles(pour gagner en rendement),
-sous des serres (pour accélérer la maturation)
-qui sont chauffées de novembre à avril (pour produire à l’année).

Photo : Docplayer.fr
Vous comprenez bien que dans ces conditions, même en production bio, l’esprit n’y est plus. L’exemple espagnol de destruction des sols est criant, car on a affaire à un terrain de nature peu fertile, et fortement soumis à l’érosion. Le pompage des nappes aquifères, le tassement par les engins agricoles, accentuent sa fragilité. Et en exploitant ainsi le sol, à longueur d’année, les agriculteurs ne lui laissent pas la possibilité de se régénérer. Aspergé de pesticides, sa faune meurt et le rend infertile provoquant le besoin toujours croissant d’engrais.
Les sols de ces régions sont donc très abîmés par la monoculture intensive, et pollués par les engrais et pesticides. Les déchets générés par cette production maraîchère, en particulier les plastics et matériaux nécessaires à la construction des serres, sont évalués par les spécialistes à environ 3 millions de tonnes par saison, donc au moins l’équivalent de la production légumière elle-même. Le recyclage étant localement très marginal, la pollution par le plastic vient donc aggraver cette destruction des sols. Tout ceci nous amène au problème suivant….

Photo : Lemonde.fr
3 – La forte baisse de la biodiversité
Là encore, rien de typiquement Espagnol la dedans, nous le savons, la biodiversité de manière générale a beaucoup diminué ces dernières décennies. Dans le cas du sud de l’Espagne, c’est l’addition d’une agriculture polluante massive et d’un bétonnage important de zones naturelles sensibles, notamment littorales, qui est à l’origine d’un déclin inquiétant de la biodiversité locale. La quasi disparition d’espèces endémiques commence à y être observée depuis quelques années. Les insectes disparaissent à cause des pesticides, les oiseaux n’ont plus accès à leurs zones naturelles d’alimentation, de nidification, et de reproduction, et la récolte nocturne des olives tue chaque année plus de 2 millions d’entre eux. Le déclin des rares espaces boisés limite aussi le nombre de petits et grands mammifères. Enfin la moindre disponibilité de l’eau, ressource surexploitée pour les cultures, a un impact direct sur quasi toutes les espèces qui vivent dans ces régions déjà naturellement arides. Les cours d’eau asséchés déciment en outre bon nombre de poissons et batraciens.
La filière bio surexploite également les ressources en eau, et n’est d’ailleurs pas soumise à une réglementation particulière en ce sens. Aucune règle dans le cahier des charges du label Bio Europe ne définit un usage raisonnable, et durable de l’eau.

Photo : Ruralidays.fr
4 – Rivières à sec et salinisation des nappes phréatiques
Dans les régions arides, la plus part des cultures maraîchères ne sont possible qu’avec un apport d’eau conséquent, résultat des courses, à force de détourner les cours d’eau pour l’irrigation, certains fleuves sont aujourd’hui asséchés. À l’image du Tage, où la situation est préoccupante depuis 2016. Selon la Confédération hydrographique du Tage (CHT), les réserves des retenues d’eau atteignent à peine 292 hectomètres cubes, ce qui équivaut à 11,8 % de leur capacité. Cet été, une dizaine de villages ont été obligés de recourir à des camions-citernes pour garantir la distribution d’eau à leurs administrés. Le débit du plus grand fleuve de la péninsule ibérique est en 2019 quasi nul, ce qui modifie profondément tout l’écosystème. À cela vient s’ajouter que le Tage charrie une bonne partie des eaux usées de la communauté de Madrid et alimente également la rivière qui traverse la capitale, le Manzanares.
Photos :
(gauche) Wikipedia.org – (droite) Francetvinfo.fr
Le bassin hydrographique du Segura , qui est alimenté par l’eau déviée du Tage, souffre quant à lui de l’absence de contrôle et de régulation des prélèvements d’eau souterraine pour l’agriculture irriguée. De nos jours encore, certaines cultures sont arrosées par forages, de plus en plus profond, jusqu’à assèchement des nappes phréatiques. Dans les zones littorales, l’eau de mer commence à infiltrer et inonder ces nappes, accentuant le phénomène d’érosion.
La désalinisation de l’eau de mer, est une option de plus en plus envisagée, malheureusement, la technique a un coût énergétique et financier important. En outre, les saumures chargées de chlore qui sont rejetées en méditerranée ne sont pas sans conséquences sur les écosystèmes marins.

Photo : Visiterandalousie.fr
5 – L’incident de Palomares, la totale !
En 1966, un avion américain percute un autre appareil qui transporte 4 bombes H, alors qu’il le ravitaillait au large de Palomares en Andalousie. Les explosifs conventionnels de deux bombes explosent, dispersant environ 4,5 kg de plutonium sur 250 hectares jusqu’aux fermes situées à 1,6 km des côtes.
Durant la décontamination, 1 400 tonnes de sol contaminé sont expédiées vers le centre de retraitement de Savannah River Site à Aiken en Caroline du Sud. Les plants de tomates contaminés sont enterrés ou brûlés. L’Espagne n’ayant pas édicté de mesures en cas d’accident nucléaire, les États-Unis, en concertation avec l’Espagne, appliquent les recommandations utilisées au site d’essais du Nevada concernant le plutonium et les autres substances radioactives. En 2008, 42 ans plus tard, on estimait que certaines zones étaient encore contaminées. Comment pourrait-il en être autrement ? Puisque le plutonium reste radioactif durant….24’000 ans. En attendant, vous reprendrez bien quelques délicieuses tomates au plutonium !
Ben. MASON
Un bel article qui encourage à produire chez soi ou au moins à consommer local
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L’enfer est pavé de bonnes intentions, c’est aussi valable pour le bio à tout prix…
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