La libellule
Aussi sublime qu’utile

Témoignant d’un écosystème en bonne santé, la libellule est également un insecte fort utile à la régulation de celui-ci. De tailles et couleurs variées suivant l’espèce, elles présentent pourtant des caractéristiques communes, notamment une longue existence aquatique lorsqu’elles sont à l’état de larves. Cette semaine j’aimerais vous présenter cette incroyable créature qui de par sa présence permet d’éviter bien des désagréments au jardin, mais aussi le plaisir des yeux lorsqu’on les voit voler à vive allure au milieu de nos cultures.
1 – Description et répartition des libellules
Les odonates (Odonata) sont un ordre d’insectes à corps allongé, dotés de deux paires d’ailes membraneuses généralement transparentes, et dont les yeux composés et généralement volumineux leur permettent de chasser efficacement leurs proies. Ils sont aquatiques à l’état larvaire et terrestres à l’état adulte. Ce sont des prédateurs, que l’on peut rencontrer occasionnellement dans tout type de milieu naturel, mais qui se retrouvent plus fréquemment aux abords des zones d’eau douce à saumâtre, stagnante à courante, dont ils ont besoin pour se reproduire. Il en existe environ 5700 espèces dans le monde, dont 120 espèces présentes en Europe.
En français, le terme de libellules est en général employé au sens large pour désigner les odonates, qui regroupent deux sous-ordres : les demoiselles (zygoptères) et les libelles ou libellules au sens stricte (anisoptères).
Il est parfois difficile de distinguer la libellule de la demoiselle. Un moyen simple est de regarder la taille et forme du corps : La demoiselle a un corps plus fin. Quand elle est au repos, elle amène ses ailes près de son corps alors que la libellule les laisse étendues.
Comme chez les autres insectes, le corps des odonates est composé de trois parties : la tête, le thorax et l’abdomen, chacun étant formé de plusieurs segments.
La tête porte les antennes (très courtes par rapport à d’autres insectes comme les papillons), les yeux composés de très nombreuses facettes, trois ocelles ou yeux simples, et les pièces buccales de type broyeur.

En arrière de la tête se trouve le thorax. Classiquement composé de trois segments comme chez tous les insectes, ici les deuxième et troisième segments à savoir le mésothorax et le métathorax sont fusionnés et donnent le synthorax. Le premier segment, le prothorax, est très court, et porte la première paire de pattes. La partie dorsale du prothorax, appelée le pronotum, présente souvent des motifs colorés diagnostiques permettant de différencier des espèces proches, notamment pour les femelles de certaines espèces de zygoptères. Le synthorax porte quant à lui les deuxième et troisième paires de pattes, ainsi que les deux paires d’ailes.
L’abdomen est constitué de dix segments. Il peut être de forme variable, plus ou moins cylindrique ou aplati, épaissi ou rétréci à certains segments, et présente très souvent des motifs colorés permettant d’identifier les espèces d’odonates. Le dixième segment, assez court, porte des appendices anaux (cerques) permettant au mâle de saisir la femelle derrière la tête lors de l’accouplement. C’est également en observant l’abdomen que l’on peut distinguer les individus mâles et femelles. Les mâles portent les pièces copulatrices sous le deuxième segment abdominal. Chez les femelles, l’organe permettant la fécondation et la ponte des œufs, appelé ovipositeur, est situé sous les huitième et neuvième segments.
Les odonates possèdent un appareil buccal de type broyeur primitif comportant de haut en bas : un labre, une paire de mandibules, une paire de maxilles portant les palpes maxillaires, et un labium. Ces pièces buccales sont adaptées à la prédation et donc au régime carnassier insectivore de ces insectes.

Les larves possèdent un labium particulier, appelé masque, pièce pouvant se déployer pour capturer des proies. Ce masque permet à ces larves aquatiques d’avoir un régime carnassier ; elles sont donc prédatrices des invertébrés aquatiques voire d’alevins quand elles sont suffisamment grandes.
2 – Développement, et mode de vie
Les Odonates sont des insectes hétérométaboles (métamorphose progressive) hémimétaboles (milieu de vie des larves et des adultes différent).

Photo : Eau-et-rivières.org
Après la présentation du lieu de ponte choisi par le mâle et le vol de parade, l’accouplement a lieu : au cours de la copulation plus ou moins brève, le mâle saisit la femelle par le cou, à l’aide de sa pince anale, et entraîne sa partenaire. Après l’accouplement, les femelles peuvent soit se reposer, soit pondre aussitôt. Selon les organes de ponte et le comportement des espèces, les œufs sont insérés dans les tissus vivants ou morts des végétaux aquatiques ou riverains (ponte endophyte des Zygoptères, des Aeshnidae grâce à leur oviscapte), sur des végétaux immergés ou émergés (ponte épiphyte de certains Anisoptères), ou « lâchés » isolément ou par groupes au contact ou dessus de l’eau ou, plus rarement, sur les zones exondées (prés humides).
Les larves appelées naïades, vivent dans l’eau et ont un mode de respiration branchiale. Elles grandissent en effectuant de 9 à 16 mues suivant les espèces. La durée de développement s’échelonne entre deux mois et cinq ans. Après la mue imaginale, les Odonates s’éloignent des habitats larvaires et se tiennent alors à plus ou moins grande distance de ces derniers durant une période de maturation d’une à quatre semaines selon les espèces. La durée de vie des adultes va de quelques semaines à quelques mois durant la belle saison. Ils fréquentent les habitats aquatiques essentiellement pour la reproduction.

Photo : (haut) Beneluxnaturephoto.net – (bas) Forumaquario.org

La larve, comme l’imago, est un puissant prédateur : elle chasse à l’affût le plancton (infusoires), des invertébrés (larves d’insectes ou insectes adultes) et même de petits poissons, grâce à son organe de préhension articulé. Chez les adultes, la chasse de petits insectes est pratiquée soit à l’affût depuis un perchoir préférentiel, soit en vol.

Illustration : Florencedellerie.over-blog.com
Le vol des libellules est très spectaculaire, il leur permet des prouesses impossibles aux autres insectes. En effet, leurs ailes antérieures et postérieures sont indépendantes. De plus, les nodus permettent la torsion de la partie distale (moitié extérieure) de l’aile, ce qui donne de nombreuses possibilités : les libellules peuvent ainsi voler sur place, et même en arrière. Elles peuvent faire des pointes à 36 km/h, alors qu’un frelon, par exemple, ne peut dépasser 22 km/h. Leur vitesse ascensionnelle atteint 1,5 m/s (soit 5,4 km/h) alors que les autres insectes volants sont limités à 0,4 m/s (soit 1,44 km/h). La tête, très mobile, bouge indépendamment du thorax, ce qui leur permet notamment de la garder immobile en vol.
3 – Bio indication et utilités au jardin
Les odonates sont considérés comme de bons bio indicateurs de la qualité des milieux aquatiques et pour l’évaluation environnementale des zones humides, ou pour la mesure d’efficacité de procédures de restauration écologique de cours d’eau ou de zones humides, tant par l’observation et étude des adultes, que des larves ou des exuvies.

Leur régime alimentaire carnassier au stade larvaire comme à l’état adulte font des libellules des régulateurs de première ordre concernant les insectes ravageurs du jardins. Les moustiques notamment paient un lourd tribu à ces remarquables chasseuses, mais d’autres insectes dit nuisibles passent aussi entre leurs mandibules, tels que de nombreuses mouches et de nombreux moucherons.
Leur présence au jardin est donc de très bon augure d’autant plus qu’elles attestent d’un écosystème en bonne santé. En outre, il s’avère que leur diversité spécifique à l’échelle d’un bassin versant dépend de la qualité et surtout de la diversité des milieux aquatiques.
4 – Les espèces présentes en France
En France métropolitaine, une bonne centaine d’espèces sont représentées et diffèrent selon les régions et le type de milieu. Parmi les plus communes on peut citer :
L’Anax empereur (Anax imperator):

Photo : Dragonflypix.com
L’Anax empereur est une libellule présente dans toute la France métropolitaine. Elle se trouve principalement autour des étangs et points d’eau stagnants.
Le Sympetrum sanguin (Sympetrum sanguineum):

Photo : Elliotkitty-centerblog.com
Cette libellule tire son nom de la couleur rouge vif remarquable de l’abdomen du mâle.
La Libellule à Quatre Taches (Libellula Quadrimaculata):

Photo : Flickr.com
La libellule à quatre taches est une des espèces d’odonates la plus répandue en France et en Europe. Vous la trouverez près des cours d’eaux calmes et des mares qu’elle affectionne comme habitat de prédilection.
La Libellule Déprimée (Libellula Depressa):

Photo : Icornithologie.fr
La libellule déprimée est une des libellules les plus communes en France. Elle est présente dans la plupart de l’Europe à l’exception notoire des endroits froids du Nord comme la Scandinavie ou en Irlande.
Espèces menacées :
L’Agrion bleuissant (Coenagrion caerulescens) :

Photo : Lagaredesramieres.com
Cette petite demoiselle, au corps annelé de bleu et de noir, vole assez bas et se pose fréquemment. Présent dans tout l’ouest du bassin méditerranéen, l’Agrion bleuissant se rencontre en France dans le Languedoc-Roussillon et en Rhône-Alpes, et plus localement en Midi-Pyrénées, où il se fait très rare.
Le Leste à grands ptérostigmas (Lestes macrostigma) :

Photo : Inpn.mnhn.fr
Espèce caractéristique des eaux saumâtres peu profondes. Il fréquente les marais et les étangs littoraux, les lagunes côtières et les anciennes salines, affectionnant les milieux bien végétalisés qui présentent une phase d’immersion temporaire. Il se rencontre plus rarement en eau douce. Présente jusqu’en Asie, cette espèce est assez rare en Europe. On ne la trouve en France que sur le littoral méditerranéen et atlantique, ainsi qu’en Corse. Ses populations subissent naturellement de grandes variations d’effectifs selon les années, phénomène pouvant être aggravé par une gestion inadaptée des marais et des étangs où elle vit.
En France, les principales menaces sont l’artificialisation et l’aménagement du littoral, ainsi que la modification de la gestion des niveaux d’eau.
La déesse précieuse ( Nehalennia speciosa) :

Photo : Libellen.tv
La Déesse précieuse vit dans les tourbières et marais tourbeux bien végétalisés, où ses larves se développent dans des mares peu profondes, plutôt acides et pauvres en éléments nutritifs. Si cette espèce présente une large aire de répartition de l’Europe à l’Asie, elle est de nos jours très menacée dans l’ouest de l’Europe, principalement du fait de la disparition et de l’altération de son habitat. Elle a d’ores et déjà disparu de Belgique et du Luxembourg, et son maintien en Allemagne et en France est incertain.
5 – Préserver la libellule et favoriser sa présence
Les libellules sont carnivores (larves et adultes) ; la disparition de la microfaune, notamment aquatique et volante peut donc les affecter. L’eutrophisation des milieux, le remembrement agricole, l’utilisation excessive de pesticides sont les principaux facteurs de la raréfaction des populations d’insectes et autres petits invertébrés qui contituent leurs proies.
Paradoxe de la faune, les libellules bénéficient sous les latitudes moyennes des conditions favorables dues au réchauffement climatique. On peut rapidement distinguer deux groupes : les espèces méridionales qui progressent volontiers formant de nouvelles colonies désormais en Belgique, Angleterre ou dans le sud de la Scandinavie alors que leurs effectifs augmentent dans le sud et les espèces du centre continental, notamment en Europe qui voient leur aire de répartition reculer devant des conditions qui leur deviennent défavorables dans leurs stations les plus méridionales. Le déplacement de leur aire de répartition vers le nord de l’Europe est moins évident et moins étudié que celui des espèces méridionales. De manière générale, les libellules restent des espèces qui bénéficient actuellement sur la planète de conditions favorables et peu sont menacées, sauf à être très localisées et insulaires ou isolées au sein de montagnes dont les populations de plus en plus limitées ne peuvent trouver d’alternatives.

Néanmoins cette dynamique plutôt positive, les atteintes de l’environnement peuvent limiter au niveau « régional » les populations. En particulier les espèces d’eaux courantes souffrent de la qualité des eaux et de la rectification du cours des rivières, les espèces des tourbières subissent la disparition de celles-ci devant le réchauffement planétaire, accéléré par une intrusion de plus en plus active de l’homme au sein des montagnes. Quant aux espèces de milieux stagnants, la principale menace réside dans l’évolution naturelle des étangs vers l’atterrissement, mais aussi la réforme de la gestion des étangs naturels et sites de pêche, comme l’introduction de poissons et particulièrement de carpes de roseau ou carpes amour (Ctenopharyngodon idella) qui présentent l’avantage de nettoyer les étangs de leur flore (pièges à fils de pêche et autres engins), mais l’inconvénient de souvent détruire l’entièreté de la flore naturelle de l’étang.
Par ailleurs les espèces les plus sensibles et en déclin tendent à se développer en métapopulations et nécessitent un réseau dense de sites de bonne qualité pour se maintenir à long terme : Leucorrhinia pectoralis pour les étangs, Coenagrion mercuriale pour les petites surfaces d’eaux courantes…
Comme prédatrices, les libellules peuvent aussi bioaccumuler certains toxiques comme le mercure et contribuer à sa bioconcentration dans le réseau trophique.

Pour conclure ce dossier, la beauté de ces insectes peut aussi être déclencheur d’une prise de conscience plus collective du respect que chacun doit accorder à l’eau.
Excellent week-end à tous !
Ben. MASON
LE DICTON DU JARDINIER :
« Septembre emporte les ponts ou tarit les fontaines. »
🌊🌪🌉🌤☀⛲🌞
Yes absolutely dragonfly is an useful insect for the ecosystem and they look very pretty with beautiful colours. I really didn’t know there are 5700 species of dragonflies before your blog. In city now a days we can’t see them . In our childhood we often caught them and played with them. Very well shared with excellent photos 😊😊. Loved to read it ❣️❣️❣️
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Bravo Ben pour ce post hyper passionnant. Quel boulot! En plus je suis fasciné par la beauté de ces merveilles de la nature. Quand je vois ça, je me dis que, wouah, la nature! Ah oui, quand même ;)! Les photos sont superbes et celle de l’accouplement magique. Merci Ben, le roi de la libellule.
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Bonjour Alan,
🙏Merci pour ton mot, je suis content que ce post te plaise. Il est vrai que la nature génère des êtres fabuleux. J’espère que cet article pourra sensibiliser les gens à l’importance de sauvegarder ce formidable insecte.
Je te souhaite une belle journée
Ben
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Article à la fois beau et intéressant. Comme on ne voit plus beaucoup de libellules, je ne m’étais pas imaginée qu’il y avait autant de variétés. Elles sont tellement belles qu’elles en deviennent fascinantes et à les voir aussi graciles et aériennes qu’on ne pense pas à tout le travail qu’elles font dans la nature.
Merci pour ce bel article très documenté et pour toutes ces magnifiques photos.
Bonne semaine.
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Merci pour votre lecture chère Elienad,
Je suis heureux d’avoir partagé ma fascination pour ces superbes insectes. Ces incroyables chasseuses sont effectivement d’une grande diversité, et leur importance dans les écosystèmes est d’autant plus précieux qu’elles servent de nourriture à d’autres espèces animales tels que les oiseaux et les batraciens.
Je vous souhaite une agréable journée
Ben
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Pour compléter votre présentation, la Leucorrhine à front blanc est en extrême danger en Suisse … Petit commentaire sous forme de dessin « La robe de Médée » : https://1011-art.blogspot.com/p/la-robe-de-medee.html, série réalisée pour le Muséum de Genève pour l’exposition « tout contre la Terre ».
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